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 Cérémonie civile du 21 juillet 2019

Les représentants des communautés religieuses et laïque se sont retrouvés à l’occasion de la fête nationale pour la traditionnelle cérémonie civile au palais du gouverneur. Le thème central était cette année le 75ème anniversaire  de la libération de la Belgique et de la fin de la seconde guerre mondiale.

A cette occasion, voici le discours de Micheline DEMET-SATINET, Vice-présidente du Centre d’Action Laïque du Luxembourg asbl

“La Fête nationale est un événement qui concerne tous les membres de la société belge, croyants et non croyants.

Permettez-moi tout d’abord de remercier le comité organisateur de m’avoir désignée comme leur porte-parole dans cette cérémonie.

Le souvenir de grands événements, c’est-à-dire mobiliser le passé pour mieux comprendre le présent et agir pour le futur, a besoin de cérémonial. Il est essentiel que tous les citoyens puissent se reconnaitre dans ce besoin symbolique, surtout lorsque les raisons de nous croire en insécurité ne manquent pas. Je ne citerai que le spectre de crises économiques à répétition, la crainte de la perte de nos acquis sociaux, les radicalismes croissants, les manifestations de racisme, de xénophobie et d’antisémitisme. Au cours des derniers mois nous avons vu des Juifs se faire assassiner dans des synagogues, leurs sépultures profanées, maculées de croix gammées ; des musulmans se faire tirer dessus dans des mosquées et leurs lieux de culte saccagés, des chrétiens se faire tuer pendant la prière et leurs églises incendiées.

Les mouvements néonazis se multiplient et les réseaux sociaux sont exploités pour véhiculer la haine, faisant planer une ombre menaçante sur notre humanité commune.

Les diversités culturelles, communautaires, religieuses et philosophiques sont pourtant la richesse de notre pays. L’acceptation du pluralisme de ces convictions implique une ouverture, une pratique de la tolérance, tant des autorités que des individus. C’est pourquoi, dans le respect de notre diversité, il convient, lors des cérémonies d’hommage, de mettre en place des rituels qui rassemblent, sur un strict pied d’égalité, s’adressant à tous les citoyens de ce pays, quelques que soient leurs convictions religieuses ou philosophiques.

Ce midi, ici même, dans ce Palais provincial, notre présence, cultes israélite, catholique, musulman, protestant et laïcité, et ce texte commun, sont incontestablement un facteur de reliance, de conservation de la mémoire collective ainsi que l’expression d’une volonté de vivre ensemble.

L’an dernier nous célébrions le centenaire de la fin de la première Guerre mondiale qui selon nos livres d’histoire amorçait la seconde crise économique de 1929, l’échec de la Société des Nations, la dictature de Staline, le fascisme, le nazisme ont anéanti les espoirs de paix.

Mr le doyen, à l’Eglise, ce matin, a rapporté un épisode de la Genèse, l’histoire d’Abel et Caïn. Caïn, dont l’offrande n’avait pas plu à Dieu, tue son frère Abel. Que nous montre ce récit ? L’opposition du Bien et du Mal, ou plutôt la rivalité des deux protagonistes, prototypes des guerres fratricides ? L’échec d’une négociation entre frères s’est produit tant de fois dans l’histoire.

Cette année, s’ouvre la commémoration des 75 ans des débuts de la libération de la Belgique et de la fin de la Seconde Guerre mondiale. Que retenir de cette guerre ?

Les violences, l’héroïsme des soldats, les destructions matérielles, les pertes humaines, à la fois civiles et militaires, l’horreur des génocides, l’utilisation de la bombe atomique, l’économie ruinée.

Ces 75 années n’ont malheureusement pas suffi pour refermer les plaies de la Communauté juive d’Arlon, une des plus anciennes de Belgique, attestée depuis le douzième siècle. Les déportations commencent dès l’arrivée des Allemands dans la cité, d’abord les Juifs apatrides, qui espéraient y avoir trouvé refuge, puis les citoyens belges, qui se pensaient protégés par leur nationalité et n’avaient pas cherché de cache. La synagogue d’Arlon, la plus vielle de Belgique, fut sauvée de la démolition en grande partie grâce à son dévoué concierge catholique.

La guerre a néanmoins débouché sur des dispositifs aux conséquences positives. En Belgique, elle a notamment accéléré le développement de la politique sociale et la naissance de l’Etat providence.

En Europe, la coopération et l’élaboration de l’Union européenne, « née dans les entrailles de la souffrance des camps nazis, dans le coeur et l’esprit de ces dizaines de milliers d’hommes et de femmes, issus de toute l’Europe occupée et meurtrie par le national-socialisme » tel que cela a été formulé dans l’Appel de Mauthausen des 23-26 mai 2019 par les Comités internationaux des camps d’extermination et de concentration nazis. Formidable invention démocratique que d’institutionnaliser cette Europe, foyer de guerres depuis tant de siècles. Cette Europe multiple, complexe, riche de ses nombreuses langues, religions, modes de pensées parfois très éloignés les uns des autres. Des hommes, Spaak, Schuman, Adenauer, De Gasperi et d’autres, ont fait ce rêve, ce pari et l’ont réalisé. A nous de continuer leur oeuvre dans un vaste courant de conciliation, d’idées émancipatrices et peut- être en raison de ce climat de désespérance et d’entrave à la marche de l’Union.

Au plan international, deux grands moments, d’abord, en 1945, la création de l’Organisation des Nations Unies, mais surtout au plan humain, l’adoption, le 10 décembre 1948, de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme lors de l’Assemblée générale de l’ONU, à New York dans un climat de début de guerre froide. Aucun des 58 pays n’osa voter contre, mais huit pays s’abstinrent, l’URSS et quelques pays satellites, l’Afrique du Sud toujours en apartheid et l’Arabie saoudite contre l’égalité hommes-femmes. Aujourd’hui le vote serait sans doute impossible avec 193 Etats, surtout lorsque l’on voit les difficultés de l’Union européenne avec seulement 28 nations, la montée des nationalismes et les attaques contre les institutions multilatérales. Sans valeur contraignante jusqu’en 1966, la DUDH a inspiré tous les traités internationaux de l’après- guerre.

C’est un texte qui définit, caractérise et encadre les droits inhérents à toutes personnes humaines, quels que soient la nationalité, le lieu de résidence, le sexe, la couleur de peau, la religion, la langue. Ces droits sont inaliénables, indivisibles et universels. Le texte voulait établir des valeurs transcendant les frontières. Elle a introduit une notion essentielle en droit : tous les citoyens, qu’ils vivent dans un état démocratique ou dictatorial, disposent des droits fondamentaux garantis par cette DUDH et plus seulement ceux octroyés par les états et donc limités en cas de régime fort.

Qu’en est-il aujourd’hui ? La DUDH va-t-elle perdurer ?

On a l’impression que la liberté d’expression, d’association, de manifestation est parfois mise à mal au nom de la lutte antiterroriste, ou lorsque des opposants politiques sont torturés, des journalistes arrêtés, des femmes maltraitées et des enfants exploités, ou quand on assiste impuissants aux discriminations des minorités dans de nombreux pays.

La malnutrition, le mal-développement persistent y compris dans des démocraties. Les Etats-Unis ont quitté le Conseil des droits de l’homme de l’ONU.

Mais pour Michelle Bachelet, responsable des droits de l’homme à l’ONU, « ses préceptes sont tellement fondamentaux qu’ils peuvent s’appliquer à tout nouveau dilemme », « elle a résisté aux épreuves durant les années qui ont passé », « elle est, je le crois fermement, aussi pertinente aujourd’hui qu’elle l’était lors de son adoption, il y a 70 ans » un moment unique de solidarité et de fraternité.

Je terminerai en citant à nouveau l’appel de Mauthausen.

« En tant que dépositaires de la mémoire des victimes des camps nazis, nous exhortons tous les européens à résister aux discours de haine, aux idéologies nationalistes, racistes, xénophobes, antisémites, », et j’ajouterai islamophobes, « à l’illusion entretenue par des politiciens démagogues selon laquelle leur prospérité et leur bonheur pourraient être fondés sur le rejet de l’autre sous prétexte de son origine ethnique, de ses croyances ou de ses convictions politiques. »

« Nous les invitons instamment à garder à l’esprit les dures leçons de l’histoire du siècle passé et à maintenir vivantes les valeurs de paix, de dialogue, de solidarité, de respect des droits et de la dignité de la personne humaine que nous ont léguées les hommes et les femmes qui sont sortis vivants de l’enfer national-socialiste. »

« Indignez-vous ! » nous exhortait l’ancien déporté des camps nazis, le grand humaniste, diplomate, co-rédacteur avec René Cassin du texte de la DUDH, Stéphane Hessel.

Notre message, INDIGNONS-NOUS, N’OUBLIONS PAS ET N’OUBLIONS JAMAIS.

C’est pourquoi nous continuons et continuerons notre engagement.”

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Le discours au format PDF