Humanitaire vs politique. Jeu complexe, dont les politiques usent avec une hypocrisie consommée. La question des sans-papiers en est le dernier exemple. Mais pas le seul hélas. La régularisation des sans-papiers n’est pas dans la déclaration gouvernementale. Donc au nom de ce principe sacré, on laisse en Belgique 400 grévistes de la faim flirter avec la mort, bouche cousue comme dans un supplice moyenâgeux. Apparemment, au CD&V, la vie d’un fœtus est plus sacrée que celle d’un sans-papier. Mais le Secrétaire d’État, Sammy Mahdi, assumera-t-il ses responsabilités lorsqu’une première victime sera à déplorer? Et depuis quand la déclaration gouvernementale est-elle devenue l’alpha et l’oméga de la politique d’un pays? Si tel était le cas, qu’on nous donne des algorithmes et plus des ministres. On y verrait plus clair.

Autre exemple récent, sur lequel le rideau vient de tomber, moins tragique peut-être mais tout aussi troublant quant à la manière dont le politique manipule l’humanitaire à sa guise: l’affaire des signes convictionnels de la STIB. J’abonde sans réserve dans le sens d’Unia, d’Ecolo, du PS et du PTB lorsqu’ils dénoncent un racisme anti-musulman, qui freine les possibilités de logement, de travail, d’ascension sociale des citoyens d’origine étrangère, et en particulier – et sans surprise des femmes. Sans surprise hélas, puisque les femmes sont toujours défavorisées par rapport aux hommes, qu’elles soient « racisées » ou pas. Mais nous n’avons en réalité eu ni un débat sur la neutralité de la fonction publique, ni un débat sur la manière de lutter contre les discriminations socio-économiques qui frappent les citoyens d’origine étrangères, dans leur possibilité d’insertion et d’ascension sociale. Au lieu de cela, c’était pour ou contre le voile à la STIB. « Le voile, c’est comme mon bras », a-t-on entendu déclarer. À traduire: m’enlever mon voile, c’est comme me couper un bras. « Le voile, c’est comme le droit à l’avortement. » Et j’en passe! L’imaginaire de l’humanitaire est redoutable: tout autre lecture, plus rationnelle, est soudain devenu impossible.

Or, l’humanitaire ne peut être réduit à une variable d’ajustement du politique, qu’il utilise ou non quand il peut en tirer avantage. Gérer un pays et faire face avec lui aux menaces planétaires qui dépassent largement ses frontières n’est possible que si les valeurs, les fondamentaux démocratiques, prennent le pas sur les petites manœuvres. Ces valeurs sont des caps, des garde-fous et non pas des cartouches de réserve dans des équilibres politiques boiteux. Le COVID n’était pas dans les déclarations gouvernementales. Mais il a été géré, et pas si mal que ça, car des vies étaient en jeu. Aujourd’hui d’autres vies le sont aussi et le temps presse. Les citoyens qui restent fidèles aux partis démocratiques parce qu’ils ont porté à travers l’histoire de la Belgique ces valeurs humanistes, finiront par s’en détacher s’ils se sentent trahis dans leurs convictions. C’est cela que le gouvernement veut?

Le Centre d’Action Laïque demande depuis longtemps une régularisation des sans-papiers. Des sans-papiers qui se sont intégrés à la vie du pays dans l’ombre, parfois depuis de nombreuses années, main d’œuvre exploitée, sans droits reconnus, mais aujourd’hui prête à affronter la mort. Que nous faut-il pour bouger enfin?

Véronique De Keyser,
présidente du Centre d’Action Laïque

Carte blanche publiée sur levif.be le 2.07.2021

Source : laicite.be