Dans cet article, vous trouverez les interventions ainsi que la conclusion de la journée d’étude : cannabis, alcool : on en parle? organisée par le CAL/Luxembourg et la Coordination Luxembourg Assuétudes le 21 novembre 2019 à Marche-en-Famenne.

Les présentations powerpoint

Alcool : les publicitaires savent pourquoi, par Martin DE DUVE, directeur d’Univers Santé asbl

Le cannabis thérapeutique, par le Dr Dominique Lossignol, chef de clinique à l’Institut Jules Bordet

la consommation d’alcool et de cannabis chez les jeunes, ainsi que sur l’usage de CBD et le statut de ce produit en Belgique , par Michaël HOGGE, chargé de projets à Eurotox asbl

La législation drogues : 1921 et après ?, par Sarah Fautré, coordinatrice de la Liaison Antiprohibitionniste asbl

Cannabis sous contrôle: pourquoi et comment réguler le marché du cannabis, par Tom Decorte, professeur en criminologie à l’Université de Gand

Les avancées du dossier luxembourgeois en matière de légalisation du cannabis récréatif, par Grégory Lambrette, chargé de direction du Quai 57 pour l’asbl Arcus et Guy Munhowen, activiste en faveur de la légalisation du  cannabis


La conclusion de la journée

Au terme de cette journée d’étude qui a rassemblé de nombreux·ses expert·es, trois conclusions ressortent :

  1. Une société sans drogue est une utopie
  2. La prohibition des drogues ne fonctionne pas
  3. La libéralisation à outrance, comme avec l’alcool où la publicité est omniprésente, ne fonctionne pas non plus

Si ces trois points sont des évidences pour de nombreux experts de la société civile, des ONG, des associations de terrain, des personnalités académiques et des politiques jusque dans les agences onusiennes, rien ne bouge…

La réglementation en matière de drogues est toujours régie par une loi de 1921 qui a des effets désastreux en matière de santé publique et d’engorgement du système judiciaire et pénitentiaire, alors que l’alcool, lui, coule à flot.

Drogue culturelle par excellence, l’alcool constitue aujourd’hui une urgence de santé publique comme l’a rappelé Martin de Duve. En Belgique, l’alcool est responsable de près de 10.000 décès/an (10%) et l’usage nocif d’alcool concerne 10,5% des belges. Or, la publicité pour les boissons alcoolisées est encore autorisée contrairement à d’autres produits psychoactifs (tabac, cannabis, ecstasy…). La publicité est d’ailleurs omniprésente – dans nos rues, à la télé, au cinéma, sur les campus universitaires –  et les alcooliers ne cessent de développer des pratiques commerciales pour favoriser les surconsommations et toucher de nouveaux publics, dont les plus jeunes.

A contrario, le cannabis, même thérapeutique, est prohibé tout comme sa publicité. Même si le CBD commence à être toléré pour certaines pathologies très précises… S’en procurer coûte cher pour les patients qui se voient doublement pénalisés. Pénalisés une première fois en raison de leur état de santé, pénalisés une seconde fois parce qu’on leur interdit l’accès à ce qui pourrait leur apporter un soulagement. C’est la liberté même des patients qui est entravée tout comme celles de soignants qui ne peuvent ni proposer ni prescrire des traitements potentiellement efficaces.

Comment expliquer ce paradoxe ? Cette différence de régimes entre alcool et cannabis ?

La morale.  La société reste enfermée dans un paradigme moraliste où il a été décidé un jour que consommer du cannabis, c’était mal alors que consommer de l’alcool fait partie de nos traditions. Conséquence : les personnes qui rencontrent des problèmes avec l’alcool sont dirigées vers des services de santé alors que les personnes qui rencontrent des problèmes avec n’importe quelle autre drogue sont dirigées vers la justice.

Le paradoxe peut aussi s’expliquer par l’ignorance. Dominique Lossignol l’a démontré : des dizaines d’études scientifiques sérieuses existent sur les bienfaits du cannabis pour le traitement de la douleur mais beaucoup de médecins continuent à les ignorer. Il en va de même du côté des politiques.

Ce n’est pas le seul paradoxe pointé lors de cette journée d’étude. Le paradoxe se trouve aussi dans la prohibition. La production, la vente et la consommation de cannabis sont interdites par la loi, pourtant, 17% des jeunes de 17-18 ans ont consommé du cannabis au moins une fois au cours des 30 derniers jours, selon les chiffres de Michaël Hogge.

Autre conséquence de la prohibition, en plus de marginaliser les consommateurs : les produits deviennent de plus en plus forts avec, parfois, des mauvaises surprises à la clé comme l’a dit Tom Decorte. En effet, moins une drogue est légalisée, plus elle est concentrée en produit actif, plus elle devient addictive et plus elle est composée d’une multitude d’autres produits de coupe dans le but d’enrichir les mafias.

Ensuite, cette prohibition coûte cher. Outre le coût pour la sécurité sociale, la prohibition coute cher en répression. 61% des dépenses publiques en matière de stupéfiants illégaux vont à la sécurité. Des montants astronomiques qui pourraient être investis dans l’infomation, la prévention et la réduction des risques.

Ce qu’on retiendra aussi de la journée, c’est qu’être anti-prohibitionniste, cela ne signifie pas être hyper permissif. Comme Martin De Duve l’a maintes fois souligné : apportons de la nuance, de la complexité dans les discours. Légaliser le cannabis, le réglementer, cela ne signifie pas pour autant laisser faire tout et n’importe quoi. Et, pour l’alcool qui est réglementé, un rééquilibrage important est à faire comme, entre autre, l’interdiction de toute publicité.

Quelle serait la formule idéale? Plusieurs modèles de réglementation existent (Uruguay, Portugal, Canada, et bientôt le Grand-Duché du Luxembourg). Ces modèles sont un laboratoire, une source d’inspiration pour une nouvelle politique drogues en Belgique. Comme l’a dit à plusieurs reprises Tom De Corte, We can learn form them !

Au terme de cette journée éclairante, il est temps de sortir de la loi de 1921 pour une politique plus juste et plus efficace en matière de drogues privilégiant une approche sanitaire et préventive à l’approche judiciaire et répressive actuelle !

Cette journée était co-organisée par le CAL/Luxembourg. Pourquoi la laïcité s’intéresse-t-elle à ce sujet ? La laïcité se refuse à définir, de manière paternaliste et arbitraire, ce qui est bon ou mauvais pour les gens. Il revient à chacun, faisant usage de sa liberté individuelle, de définir si, oui ou non, il désire consommer l’un ou l’autre produit psychotrope. Il est préférable de responsabiliser que de criminaliser, d’encourager l’autonomie que de s’enfermer dans l’assistanat, de respecter les libertés individuelles que de chercher à les restreindre. C’est pour ces raisons que le Centre d’Action Laïque travaille sur cette question depuis plus de 30 ans et défend une vraie réglementation de toutes les drogues par l’Etat.

Au final, et si on disait stop à la loi de 1921 ? Si on envisageait un changement total de paradigme en matière de politique drogues ? Après avoir entendu tous les intervenants, le changement de politique en la matière n’est plus une question de courage, mais de devoir.

Article tiré des conclusions de la journée par Vinciane Colson, journaliste de l’émission Libres, ensemble