Nous vous proposons un article de retour sur la conférence organisée en mars dernier et intitulée : “Aborder l’histoire coloniale. Pourquoi ? Comment?“, rédigé par Dominique Watrin, chargé de communication au DISCRI (Dispositif de concertation et d’appui aux Centres Régionaux d’Intégration de Wallonie). Bonne lecture !

Le passé colonial ressurgit, depuis un certain temps, sur les devants de la scène publique et médiatique belge, avec notamment des débats récurrents autour des monuments à la gloire de personnalités phares du colonialisme ou du retour au pays du patrimoine spolié durant la période coloniale. Initiée par ce questionnement, la nécessité de comprendre l’histoire coloniale et de repenser fondamentalement la manière d’enseigner ce passé méconnu s’est imposée dans le débat public. Une conférence initiée conjointement par le CAL (Centre d’action laïque) Luxembourg et le CRILUX (Centre Régional d’Intégration de la province de Luxembourg) s’est attelée à poser la question centrale de la thématique synthétisée dans son titre « Aborder l’histoire coloniale. Pourquoi ? Comment ? » Un enjeu crucial où s’entremêlent vérité historique et émotion.

Pourquoi est-ce si important de traiter la question coloniale aujourd’hui ? Comment se situer dans les débats actuels et à venir ? Quels en sont les enjeux ? Comment transmettre l’histoire de la colonisation dans les classes ? Quelles sont les orientations de la Fédération Wallonie-Bruxelles (FWB) par rapport à l’enseignement de ce passé ? Existe-t-il des outils pour encadrer cet enseignement ? Telles étaient les principales balises d’un survol documenté de l’analyse du jour. Aux commandes de la soirée, Alice Van Dalen, chargée de mission « Démocratie ou barbarie » à la FWB et Kalvin Soiresse, enseignant ainsi que député Ecolo au Parlement bruxellois et au Parlement de la FWB.

Colonisation et colonialisme

Le premier devoir auquel se sont attelés les deux protagonistes de la soirée a été de cerner à la fois le terme de colonisation et la période historique concernée. Pour Alice Van Dalen, la colonisation est l’usage de la violence par une société pour en soumettre une autre dans un but de profit lié à l’exploitation de ses ressources naturelles, sous le couvert d’apporter le progrès générateur de changement dans ladite société. Pour le Congo, la période de colonisation est clairement définie selon elle : c’est de 1885 à 1960.

Pour Kalvin Soiresse, les peuples se sont toujours influencés, mais ce processus s’effectue pacifiquement ou dans la violence. Il tient à distinguer la colonisation qui est un système et le colonialisme qui est l’idéologie qui sous-tend le système. La colonisation est à ses yeux l’extension de la citoyenneté d’un État sur le territoire d’un autre par la violence et avec le mépris de certains droits humains. Celle-ci se perpétue depuis le 15ème siècle avec les Indiens d’Amérique jusqu’à nos jours. Elle a longtemps revendiqué trois missions exercées auprès de populations d’une race dite inférieure : christianiser, civiliser et commercer.

L’émergence des luttes décoloniales

En réalité, selon Kalvin Soiresse, le projet colonial de la Belgique était un projet personnel de Léopold II. C’était un projet capitaliste, celui de faire de l’argent en s’accaparant des matières premières et de nouveaux marchés. Ce projet était lié à une idéologie racialiste basée sur une hiérarchisation des populations en fonction de leur race. « À son démarrage dans les 1850-60, le projet colonial était impopulaire, tient-il à souligner. Une large propagande, soutenue par les classes sociales dominantes, a été enclenchée à l’époque pour rendre le projet populaire, avant qu’il ne devienne un projet personnel de Léopold II dans les années 1870. »

Les premières revendications congolaises ont émergé après la première guerre mondiale. Elle était due à la présence de combattants congolais dans les troupes belges durant le conflit. L’histoire a ensuite été jalonnée de temps forts qui ont réveillé ces revendications, marquant l’émergence progressive des luttes décoloniales. Pour l’intervenant, il y a eu l’assassinat de Patrice Lumumba, présenté un temps comme une lutte entre Congolais, avant que le rôle des occidentaux ne soit évoqué. Il y a eu ensuite le scandale des enfants métis arrachés à leurs parents pour gommer la mixité des races. Il y a aussi eu plus récemment le Black Lives Matter, consécutif au décès de George Floyd aux États-Unis lors d’une bavure policière, qui a généré une pression de la société civile pour que le pouvoir prenne position et légifère sur la question.

Développer la transmission de la mémoire

De son côté, Alice Van Dalen met en avant le travail de la Cellule « Démocratie ou barbarie » (Dob en abrégé) qui l’emploie au sein de la Fédération Wallonie-Bruxelles. Cette cellule vise à « sensibiliser professeurs et élèves à l’éducation citoyenne au travers du respect mutuel, de l’égalité des droits et de l’engagement pour un monde plus pacifique, plus juste et plus solidaire ». L’approche « se fait par le biais de l’histoire, d’une analyse rigoureuse des faits du passé pouvant éveiller à une conscience citoyenne ». Dob qui a été créée en 1994, c’est donc à la fois une cellule de coordination pédagogique, des chargés de mission issus de l’enseignement et une éducation à l’histoire comme moyen de construction d’une citoyenneté participative.

En 2003-2004, lors de la commémoration des dix ans du génocide rwandais, Dob a, par exemple, créé un partenariat entre la FWB et le Rwanda pour mettre en place des espaces de contact entre les jeunes du secondaire des deux pays. En 2009, il a contribué à la promulgation du décret mémoire qui vise à développer la transmission de la mémoire des crimes de génocide et apparentés, à assurer cette transmission notamment par les témoignages, à faciliter et organiser l’accès aux ressources et à la documentation, à favoriser la découverte et la connaissance de la mémoire des lieux, et à stimuler des activités et des projets destinés au grand public et, en particulier, aux jeunes générations. Dans le cadre de ce décret sont mis en place des appels à projets ouverts aux associations et aux établissements scolaires.

Par ailleurs, en 2008, l’asbl Culturea a réuni trois centres d’archives (musée de Tervueren, Cinématek et Kadoc-KUL), trois universités belges (ULB, KUL et FUSL) et trois universités africaines (Kinshasa, Butare et Bujumbura) pour procéder à la duplication, la sauvegarde et la valorisation des archives filmées datant de l’époque coloniale belge. Une série documentaire en trois épisodes intitulée « Kongo » a, par ailleurs, été réalisée en 2010 à l’occasion du cinquantenaire de l’indépendance du Congo. Tout comme ultérieurement la valise pédagogique Congo, chargée de fournir aux enseignant.e.s un grand nombre de documents originaux, tant écrits que visuels, répondant à un double objectif : offrir une approche de l’histoire coloniale du Congo belge et une initiation à l’analyse du discours audiovisuel.

Rectifier le déséquilibre

Sur la délicate question du passé dans l’espace public (avec notamment le débat autour des statues), Kalvin Soiresse tient à cadrer d’emblée le débat. « Aucune infrastructure, aucun monument n’a été mis en place avec un regard critique, avertit-il. Mais à partir du moment où le système n’est pas conscient, il y a un problème. C’est un système de domination imposée. L’enjeu qui a émergé en 2019 est de travailler sur la décolonisation de l’espace public. »

Et d’ajouter quelques pistes de réflexion, voire de solution. La première d’entre elles est la contextualisation, avec des propositions d’artistes pour matérialiser celle-ci. Une deuxième est de diversifier l’espace public qui est le reflet d’une époque, avec son rapport entre dominants et résistants, entre l’esclavage et la défense des droits humains. Seulement 6% des éléments de cet espace public portent, par exe.  rectifier ce déséquilibre et ts humainsstants, entre l’ersifier l’ment où le système n’ngéniosité très au-dessus de la moyennmple, le nom d’une femme. Il faut rectifier ce déséquilibre. La troisième piste est celle du déplacement. Il s’agirait de diminuer le nombre de statues (pour échapper, par exemple, à la multiplication de celles de Léopold II) et de les remplacer par d’autres. La quatrième piste enfin passerait par l’éducation et les écoles. Elle se matérialise par la création de visites guidées décoloniales (déjà en place dans plusieurs grandes villes du pays, comme Liège, Namur, Charleroi ou Tournai) et la publication en Wallonie d’un guide pour ceux qui veulent travailler sur la question. Et Alice Van Dalen de compléter : « Il faut encourager les musées à contextualiser, ajoute-t-elle. Chaque élément colonial appelle à une étude et à une contextualisation qui permettent notamment d’éviter les lectures simplistes. »

Une vision multidisciplinaire, critique et contemporaine

Poursuivant sur la question de comment enseigner l’histoire coloniale, dans quels buts et avec quels outils, Kalvin Soiresse tient à contextualiser la thématique. « La base de la colonisation, rappelle-t-il, est un projet économique, pas une migration. » Selon lui, avant, on enseignait la colonisation mais peu et mal. Aujourd’hui, il faut enseigner l’histoire de notre relation avec l’Afrique avant la colonisation et étendre le changement dans l’enseignement, des primaires à l’université. En n’oubliant pas que l’enseignement doit gérer des classes où se côtoient descendants des anciens colons et des ex-colonisés.

Sur le plan pédagogique, il faut que s’instaure un échange de bonnes pratiques, via notamment la création d’une plateforme regroupant une série de ressources. Parallèlement, chaque réseau d’enseignement doit traduire le référentiel en programme, pour arriver à mettre à disposition des enseignant.e.s, à la fois des outils scolaires et des pistes de sorties scolaires. Les outils scolaires en question doivent proposer une vision multidisciplinaire, critique et contemporaine, c’est-à-dire en lien avec les débats sociétaux d’aujourd’hui. Sans oublier la prise en compte de la dimension affective de la question qui doit permettre de maîtriser les enjeux et implications actuels.

De son côté, Alice Van Dalen, souligne la prise de conscience de l’urgence de « décoloniser l’école ». En 2017, de nombreuses critiques se sont abattues sur un nouveau référentiel de compétences portant sur la thématique : colonisation vue à travers le Congo et pas un autre pays, concepts de « migration » et de « développement » inadéquats, colonisation vue comme le fait d’individus et non d’un système, aucun mot sur le concept de « néocolonialisme », ni sur les faits de résistance des Congolais face à la colonisation, etc. Depuis lors, la Fédération Wallonie-Bruxelles s’est attelée à concocter un nouveau programme cohérent d’enseignement de l’histoire coloniale, tant pour la sixième primaire que pour le tronc commun jusqu’en troisième secondaire. Une initiative dans laquelle beaucoup d’espoirs sont placés…

Dominique Watrin, chargé de communication au DISCRI

Source : https://discri.be/article-thematique/lhistoire-coloniale-au-centre-dun-questionnement-le-debat-se-poursuit-dans-la-sphere-publique-et-a-lecole/